La fondation du Collège St-Julien dans son contexte (suite)

C’est dans la tension que le Collège Saint-Julien s’installe. Si certains aspects de ses débuts sont connus, d’autres le sont beaucoup moins. Soit parce que l’on manque de sources, soit parce qu’elles n’ont pas encore été exploitées ou encore parce qu’il en reste à découvrir. Sauf quand ils ont été envoyés à Louvain, on ne sait rien de la formation des premiers maîtres sinon que l’Eglise de Belgique a fait un effort dans ses séminaires durant la seconde moitié du XIX siècle. A propos du trio fondateur, un ancien élève, plusieurs décennies plus tard, décrit l’abbé Ghigny comme un bon organisateur mais un moralisateur impénitent, l’abbé Delattre un bon maître, bourru au cour tendre et l’abbé Dion comme un humaniste raffiné. On aurait pu tomber plus mal.
Une question que l’on pourrait se poser est de savoir si, fondé par Monseigneur Dumont le Collège n’est pas à ses débuts un bastion de l’ultramontanisme, on dirait maintenant de l’intégrisme ? L’abbé Ghigny a vingt-trois ans, c’est un prêtre de la dernière ordination. L’évêque l’a-t-il désigné parce qu’il était un disciple fidèle, parce que l’on pressentait ses qualités d’organisateur ou tout simplement parce que c’était plus facile d’envoyer un jeune au casse-pipes ? On ne sait. Par contre, on est certain que le Collège a participé à la fronde générale anti-Dumont. Les archives vaticanes conservent une sorte de pétition rédigée en latin et en termes vagues, déplorant l’affaire et l’atteinte causée à la légère et follement à l’autorité pontificale. L’affaire, c’est le dérèglement mental de l’évêque. La pétition est signée de tous les professeurs et élèves du Collège. Datée du 21 mai 1880, elle se situe entre le moment où Rome a déjà nommé un administrateur apostolique à la tête du diocèse, suscitant une véritable rébellion de Mgr Dumont et le moment où celui-ci sera suspendu a divinis. Elle est inspirée d’un canevas vraisemblablement proposé par le chapitre cathédral à d’autres institutions. De toutes façons, au Collège, Monseigneur Dumont avait fait une très mauvaise impression lors de sa dernière visite. Reçu dans le « Grand salon », devant professeurs et élèves, il avait paru très agité et avait carrément tourné le dos au premier de cours commis au discours de bienvenue. La brochure commémorative du 25ème anniversaire (1901) parviendra à évoquer la fondation du Collège sans citer le nom du fondateur.
Si l’intransigeance doctrinale de Monseigneur Dumont n’a pas dû marquer les premières années du Collège, l’imprégnation ecclésiastique paraît importante. Certes il n’est assigné nulle part à l’institution de former des prêtres, d’être une de ces « pépinières à curés » à propos desquelles les défenseurs de l’enseignement officiel et certains milieux non suspects d’anticléricalisme primaire ironiseront longtemps. Mais on est heureux du nombre de vocations sacerdotales. Sans vérification systématique des ordinations, on en relève une vingtaine sur les 18 premières Rhétoriques (soit 153 élèves). Il est certain que le clergé paroissial environnant est le meilleur propagandiste de la maison. Les adhérents au XXVème anniversaire, en 1901, sont pour un tiers des ecclésiastiques. On a conservé le menu du banquet, pas la carte des vins.
Elitiste le Collège? Oui, si l’on considère l’attachement à la culture classique comme de l’élitisme. De cela, il sera question plus loin. Au niveau des exigences, on a placé la barre assez haut. A part l’antécédent malheureux du Collège de Liessies, pas de passé donc pas de réputation. On a pensé que sélectivité égale crédibilité. Les 17 premiers élèves ( plus 2 par la suite) ont assisté le jour de la rentrée, le 3 octobre 1876, à la Messe du Saint-Esprit. Ils ont ensuite présenté un exercice public de lecture, puis une épreuve écrite. Cela avait tout l’air d’un concours. Le lendemain, grossso modo la première moitié du tableau était en 6ème latine, la seconde en 7ème préparatoire. On suppose qu’il n’y a pas eu de réunion de parents.
Et au point de vue financier, qui peut se permettre d’inscrire son fils au Collège? Le minerval en 1876 est de 60 frs par an pour un externe. La pension complète, minerval compris est de 500 frs. Mais il y a toute sorte de suppléments : un droit d’entrée (sic) de 5 frs, les fournitures classiques, la lessive, les cours de gymnastique, de dessin, d’éducation musicale, plus tard de langues modernes sont payants. Les dégâts sont facturés; à en voir les listes, nos ancêtres étaient des casseurs. Tous frais compris les parents devaient tabler sur une fourchette allant, pour un externe, de 75 à 145 frs l’an, pour un interne de 600 à 700 frs. Des prix qui resteront stables jusqu’à la guerre de 1914. C’est accessible pour le fermier de Bouvignies qui vendait la tonne de blé 280 frs en 1880. Cela lui demeurait accessible lorsqu’il ne la vendait plus que 150 frs en 1894, mais que dire des possibilités de l’ouvrier agricole que ce même fermier payait 2 frs par jour. Le Collège consent parfois des réductions appelées paternellement faveurs. Mais par comparaison on ne peut pas dire que Saint-Julien travaillait dans le haut de gamme. Au point de vue des salaires non plus. Un laïc, par définition professeur de cours marginaux, doit tirer son plan quelque part ailleurs sous une autre casquette. L’ecclésiastique, vicaire en paroisse touche 600 frs par an pour son enseignement, c’est un supplément par rapport à son traitement de vicaire. Le prêtre interne paraît recevoir des avances irrégulières. Ainsi pour l’année 90-91, l’abbé Dion reçoit en quatre termes variant de 65 à 268,50 frs un total de 706,50 frs. Certes, il est logé et nourri dans la maison. Les Bonnes Soeurs cuisinières, infirmières, lavandières et consolatrices des (internes) affligés ne sont pas servantes que du Seigneur. Mais quand on sait que dans un internat, les professeurs-prêtres devaient assurer, outre les cours, les surveillances de jour, de nuit, l’encadrement des exercices religeux, les activités culturelles, on doit reconnaître que leur dynamisme n’était pas lié à l’appât du gain.
J. BROGNIET